ÉvénementGrand conseil DU VIN DE BORDEAUX

Commanderie
Lundi 23 Juin 2025La Commanderie de Bordeaux à Madrid. « Bordeaux, capitale Madrid ». Juin 2025
Voici un article signé par Javier Fernández Piera, Chancelier de la Commanderie de Bordeaux à Madrid, à l’occasion du 40e anniversaire de la Commanderie madrilène. Cet article retrace l’histoire du lien entre Bordeaux et Madrid, met en lumière l’accueil remarquable des vins de Bordeaux en Espagne et souligne le rôle fondamental que joue la Commanderie dans le développement de ce marché. Une lecture à la fois personnelle, culturelle et résolument européenne.
Bordeaux, capitale Madrid
Il y a des anniversaires que l’on célèbre avec des discours. D’autres, avec des médailles. Et puis, il y a ceux que l’on célèbre… en ouvrant une bonne bouteille. Cette année marque les quarante ans depuis que Bordeaux — celle des grands vins, des quais chargés d’histoire et de voyages — a tendu un pont vers Madrid. Non pas un pont de pierre, mais un pont de cristal fin, de verre levé. Un toast avec destination.
Les années 80 battaient leur plein. L’Espagne n’était pas encore officiellement dans l’Europe, mais aspirait à y entrer. Madrid vibrait à l’heure de la « movida », les cinémas de quartier exhalaient Marlboro et passion, et les bars ne fermaient plus, parce que la démocratie avait la gueule de bois de la liberté. À Bordeaux, Jacques Chaban Delmas régnait comme maire, figure monumentale, et à l’ambassade de France à Madrid un homme de vision diplomatique et de goût raffiné, Pierre Guidoni, tenait les rênes. C’est avec eux, ou grâce à eux, qu’un petit groupe d’hommes éclairés — Bernard Soulier, mon oncle Adrián Piera, Daniel de Busturia — décidèrent que les relations hispano françaises ne pouvaient se limiter à des traités ou des banquets officiels. Il fallait porter un toast avec conscience.
Au creuset du vin naquit l’Association Dialogue Hispano Français, lieu d’échange et de compréhension où l’on parlait d’entreprise, de culture et d’avenir. Mais toujours avec un verre à portée de main. Et quasi simultanément prit forme à Madrid la Commanderie du Grand Conseil des Vins de Bordeaux. Une fraternité initialement discrète, certes, mais solide, qui marqua le début d’une histoire parallèle entre ces deux villes. Alors que Madrid dansait son rock des années 80, dans les salons privés on évoquait de plus en plus Margaux, Pauillac, Saint Émilion. On buvait du Bordeaux non pas par effet de mode, mais par admiration.
Ces hommes — visionnaires sans ostentation — découvrirent à la Chambre de Commerce de Bordeaux bien plus que des statistiques : un cursus de sommellerie. Un modèle de formation qui, comme tout ce qui compte, visait l’excellence. Et ils décidèrent de le transposer à Madrid. Non pas parce que la région produisait du vin (même si c’était le cas), mais parce qu’ils comprirent que si l’Espagne voulait devenir une puissance touristique, Madrid devait offrir autre chose que des monuments. Il fallait offrir l’expérience. Et pour cela, former les meilleurs. Le cursus vit le jour quelques années plus tard à la Chambre de Commerce madrilène. En soi, ce fut un geste diplomatique. Une déclaration d’intention. Et l’amorce d’une alliance qui dépassait le cadre du vin.
Pendant que Bordeaux préparait en coulisses la future Cité du Vin — cette merveille scénographique imaginée par Sylvie Cazes, devenue aujourd’hui un symbole de l’avant garde vinicole et un temple de la culture liquide —, Madrid plantait les premières graines d’une nouvelle gastronomie. La Commanderie faisait office de charnière entre deux mondes : cata, échanges, accueil de vignerons venus découvrir cette ville promise… et convaincus à chaque bouteille de Bordeaux dégustée.
Aujourd’hui, quarante ans après, Madrid et Bordeaux ne sont plus les mêmes. Elles n’ont jamais été aussi grandes. Madrid est devenue capitale du tourisme haut de gamme, centre névralgique de conventions, ville qui inaugure chaque année des hôtels cinq étoiles comme on révèle une nouvelle cuvée. Elle reçoit davantage de visiteurs mexicains et colombiens que de nombreuses capitales d’Amérique latine. Elle compte plus de cavistes que jamais, plus de cartes de vins bordelais que de vins nationaux… Le miracle n’est pas le fruit du hasard. Derrière chaque réussite, il y a du travail. Et il faut le dire : la Commanderie de Bordeaux à Madrid est un chef de file. Ses dîners dans des lieux emblématiques — le Musée du Prado, avec Goya veillant au mur ; l’Opéra ; les patios du Barrio de Salamanca — démontrent aux Français ce que Madrid offre : soleil, culture, tables élégamment dressées et envie de faire la fête.
Aujourd’hui à Madrid, on boit du Bordeaux avec respect. Ce n’est plus un symbole de snobisme, mais de sagesse. De savoir-être. De savoir boire. De savoir vivre. Chaque année, les commandeurs voyagent à Bordeaux. Et chaque année, Bordeaux revient à Madrid. Des échanges presque liturgiques s’y déroulent. On alterne les rives de la Garonne comme on tourne les chapitres d’un grand roman : un peu de Saint Julien, un peu de Pomerol. On retrouve des châteaux chers au cœur. On en visite de nouveaux. On noue des amitiés anciennes. On dîne avec des propriétaires qui font du vin comme on fait de la philosophie.
Un exemple récent en est la présentation de l’Association des Grands Crus Classés de Saint Émilion à Madrid. L’événement se tint à Fortuny, ce palais où flotte encore l’héritage des aristocrates. Là, Sylvie Cazes, celle qui offrit la Cité du Vin à Bordeaux, dirigea un acte qui dépassa la simple présentation : un opéra sans partition, dans lequel le vin fut la star, et Madrid, la scène parfaite. Une véritable fête du vin bordelais. Un « chez soi » pour tous. Car plusieurs vignerons, après la pandémie, comme le vigneron émérite François Lurton, ont fait de Madrid leur demeure pendant de longues saisons. Non seulement pour le climat, qui tend à se rapprocher, mais pour le rythme de vie de cette ville. Ici, on vit vite, mais on boit lentement. Ici, les vins s’ouvrent pour la conversation, non pour s’exhiber.
Les cavistes les proposent avec soin. Les distributeurs les intègrent à leurs catalogues. Et les consommateurs, plus informés, plus curieux, mieux formés, les recherchent. Car Bordeaux n’est plus inatteignable. Il est devenu accessible. Il a conquis Madrid sans stridences, sans campagnes. Je l’observe dans mon activité de consultant, de professeur en XXX et de conseiller de grands acteurs du monde du vin sur ce marché majeur qu’est aujourd’hui Madrid et l’Espagne. Et en tant que Chancelier de la Commanderie de Bordeaux à Madrid. En demeurant fidèle à lui même : élégant, complexe, éternel. Et derrière tout cela, des noms tels que Félix Losada, le Marquis de Vargas, ou Daniel de Busturia, moteurs infatigables de cette amitié vinicole, commerciale, culturelle et artistique entre Madrid et Bordeaux. La Commanderie n’a jamais cessé d’ouvrir des chemins.
Quarante ans plus tard, ce qui commença comme geste diplomatique et admiration mutuelle s’est mué en une réalité solide. Madrid honore Bordeaux à chaque toast. Le comprend à chaque formation. Le célèbre à chaque dîner.
Ici, en cette ville où Goya continue de veiller sur les murs du Prado, bien qu’il soit mort à Bordeaux — son ultime refuge —, Montaigne y trouverait une conversation digne de son esprit ; le Bordeaux d’antan a déjà une deuxième maison. Une première seconde maison.
Madrid. Cette capitale qui, sans en avoir l’air, est devenue aussi capitale Bordeaux.
Javier Fernández Piera
Chancelier Commanderie de Bordeaux à Madrid